Avec J’aurai tant aimé, Emmanuel Venet propose, chez Jean-Claude Lattès, un « inventaire de nos joies minuscules ». Un régal de finesse, d’élégance et de douce complicité.
D’abord, noter la conjugaison : ni passé composé ni plus-que-parfait. Apprécier surtout la nuance : non pas le conditionnel passé (j’aurais aimé) mais le futur antérieur : j’aurai aimé. Ce temps-là, employé seul, pour exprimer une supposition relative à un fait passé.
De fait, comprendre la subtilité de ce choix : à la lecture, difficile de déduire le « déjà fait » du « fait depuis » et du « encore à faire ». Ce qui participe, aussi, du charme de ce petit livre.
Ensuite, repérer le message du bandeau : « inventaire de nos joies minuscules », qui sonne joyeux et quasi delermien, doucettement, douillettement prometteur
Puis, bien sûr, vérifier la filiation, affirmée, assumée avec le Je me souviens de Georges Perec et donc avec I remember, de Joe Brainard.
En venir au texte, avec légèreté, sans cette pression du page à page. Sautiller, papillonner, passer, revenir, s’attarder et découvrir un auteur attachant, au phrasé élégant et calme. Un auteur qui s’attarde moins sur la nostalgie (« J’aurai tant aimé le bleu pâle des Renault 4L, dans les années soixante ») que sur la nature, les végétaux et les animaux : « J’aurai tant aimé le vol en V des oies sauvages ».
La douceur des choses
Esprit raffiné, Emmanuel Venet partage avec son lecteur ses émois et ses souvenirs culturels : « J’aurai tant aimé retrouver dans toute sa subtilité une sensation complexe entre les mots de Ponge, Gracq ou Michaux ». Mais il n’oublie pas, humour et blagounette, de le faire rire, ou sourire : « J’aurai tant aimé le pistou, que j’ai longtemps cru diurétique (pisse-tout) ».
Et, qui me touche de près, bien sûr, Venet lance de brèves et justes déclarations d’amour à la langue française : « J’aurai tant aimé les verbes de marine, drosser, amurer, empanner, lofer, dessaler, engouffrer… » ; « J’aurai tant aimé les zeugmes et en truffer mes écrits » ; « J’aurai tant aimé les mots rares et précieux, faucarder, « janissaire, capricant. »
Emmanuel Venet sait goûter à la douceur des choses, rêverie en hamac et pause en terrasse. Surtout, il sait partager ses « joies minuscules » et les rendre non pas universelles, mais touchantes et si personnelles. Le genre de petites phrases qui fait d’un livre un ami pour la vie, juste là en cas de besoin : ralentir le rythme du monde, retrouver quelques instants doux, se retrouver. J’aurai tant aimé est un livre précieux, à l’inépuisable beauté dans laquelle il ne faut pas hésiter à replonger, et replonger encore.
Olivier Quelier
Emmanuel Venet, J’aurai tant aimé, JC Lattès, 160p. 14€.