« Depuis l’au-delà », Bernard Werber fourbit ses âmes de romancier populaire

J’ai lu ce livre Depuis l’au-delà. Ça a été une sacrée bonne surprise. Ce roman de Bernard Werber est plein d’esprit(s), de spirites, d’âmes errantes, d’égrégores et de médiums… Autant dire que je ne partais pas serein, pas certain de plonger dans 430 pages, ballotté entre monde immatériel et immondes matériels. Et pourtant…

Je n’abordais pas vraiment serein Depuis l’au-delà. Et pourtant  j’ai vite été rassuré : Werber a ce génie du romancier de tout oser, sans crainte : faire intervenir les défunts Napoléon, Conan Doyle et Mitterrand, balancer des blagues potaches et livrer des scènes de grande comédie… Ça marche : le lecteur, ravi, accepte tout. Le pitch est simple, mais (diablement ?) efficace : écrivain de romans à suspense, Gabriel Wells est assassiné. Son âme errante décide de retrouver le meurtrier avec l’aide d’une médium, Lucy Filipini. Et tenter de percer, tant qu’à faire, le mystère de la mort.

Gabriel Wells

Le grand talent de Bernard Werber, c’est d’allier à son imagination sans limite une certaine candeur ancrée dans l’optimisme. La trame de son roman s’enrichit d’extraits de la « fameuse » Encyclopédie du savoir relatif et absolu d’Edmond Wells. Un personnage fictif, créé par l’auteur, mais dont les articles sont d’une incroyable richesse. Non, je ne vous en dirai rien, allez donc découvrir, c’est renversant.

L’autre bonne idée de Werber, c’est d’avoir fait de son personnage principal un auteur populaire de romans à suspense. Un bon moyen de glisser de respectables vérités et, en plus de régler quelques comptes, livrer quelques-unes de ses convictions d’écrivain. Aux arguments de Jean Moisi, acariâtre critique littéraire redouté du fretin parisien à cause de son pouvoir éminemment gris et piètre auteur dont les ouvrages soi-disant autofictifs comptent plus de mensonges que de lecteurs — à Moisi, donc, Wells/Werber oppose une défense du roman de genre, grand public, nourri à l’aventure, à l’imagination.

« La viande, c’est l’intrigue »

Moisi l’aigri nombriliste face à Wells/Werber. Ma religion est faite, j’ai toujours aimé les raconteurs d’histoires et le mépris dans lequel la presse littéraire les maintient encore m’incite à continuer à les lire. Qu’écrit-il, Werber, en illustration de ces propos ? D’un critique qui reproche son absence de style à Gabriel Wells, il dit : « La littérature qu’il aime est essentiellement cosmétique. C’est du maquillage qui sert à cacher les rides et les boutons. La forme est mise en valeur pour dissimuler la faiblesse du fond. Ou, pour utiliser une autre image, le style est la sauce d’un plat. On met beaucoup de sauce, bien grasse et bien salée, de la sauce au beurre ou de l’huile de friture, quand on veut saturer les papilles pour cacher le goût de la viande. Or, pour moi, la viande, c’est l’intrigue. Si elle est bonne, elle n’a pas besoin de sauce. »
Un peu plus loin : « L’autofiction, qui est en effet l’unique littérature à la mode actuellement en France (ou plutôt à Paris), n’est qu’une thérapie déguisée. L’auteur qui raconte par exemple son enfance n’a rien inventé : il se contente d’observer. Ce n’est pas lui qui crée ses parents, son cadre de vie, ceux qui participent à sa vie. Ces écrivains ne sont rien d’autres que des autobiographes, et ils devraient indiquer « Dieu » comme co-auteur puisque c’est lui qui a inventé les acteurs, le décor et même les situations qu’ils décrivent. »

Au-delà de ça

Depuis l’au-delà constitue un réel bonheur de lecture, riche de fantaisie et d’audace. Ça n’empêchera pas de relire Duras, ça n’empêchera pas de ne pas lire Musso ; ça n’empêchera rien du tout mais replacera simplement le livre, quel qu’il soit, à sa vraie place : dans les mains d’un lecteur, d’une lectrice qui pensera sans doute que « le suprême paradoxe est que la vérité est dans les romans, le mensonge dans les journaux ».

Olivier Quelier

Bernard Werber, Depuis l’au-delà, Albin Michel, 2017. 22€.

Le site officiel de Bernard Werber est ICI.

 

 

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