L’hymne à la nature de Jean Giono

Il est court et lumineux, ce portrait de l’Homme qui plantait des arbres signé Jean Giono. L’homme, c’est Elzéard Bouffier, un berger solitaire et silencieux qui, dans les Alpes arides du début du 20e siècle, plante, plein de sérénité, jour après jour, plein d’humilité, année après année — plante des glands, des centaines, des milliers de glands qui recouvriront peut-être, plus tard, les terres escarpées qu’il arpente, avec patience, jour après jour, avec obstination, année après année.

Les fonctionnaires imbéciles et les benoits politiciens qui dans le futur n’hésiteront pas à déforester à tout-va croient au travail de la nature, bonne fille, ramenant, d’arbre en arbre, l’eau dans les sources et les habitants dans les villages désertés. Ils ne remercient pas la nature, les imbéciles — ils ne la remercient jamais. Ils ne remercient pas le vieil Elzéard (ils n’y pensent même pas, fermés à cette générosité magnifique qu’ils ne soupçonnent à aucun moment).

Jean Giono célèbre un homme à l’acharnement paisible, discrète main de Dieu qui a trouvé comment préserver et partager son bonheur. Son texte vient s’enraciner dans la nouvelle collection Folio Cadet relancée par Gallimard, dans un ouvrage servi par les magnifiques illustrations d’Olivier Desvaux, pas cher (6,90€), recommandé par l’Education nationale et destiné aux enfants dès 8 ans. Car il n’est jamais trop tôt pour leur faire lire Giono. Ni pour leur apprendre à regarder les arbres.

Olivier Quelier

L’hymne à la nature de Jean Giono

« Depuis l’au-delà », Bernard Werber fourbit ses âmes de romancier populaire

J’ai lu ce livre Depuis l’au-delà. Ça a été une sacrée bonne surprise. Ce roman de Bernard Werber est plein d’esprit(s), de spirites, d’âmes errantes, d’égrégores et de médiums… Autant dire que je ne partais pas serein, pas certain de plonger dans 430 pages, ballotté entre monde immatériel et immondes matériels. Et pourtant…

Je n’abordais pas vraiment serein Depuis l’au-delà. Et pourtant  j’ai vite été rassuré : Werber a ce génie du romancier de tout oser, sans crainte : faire intervenir les défunts Napoléon, Conan Doyle et Mitterrand, balancer des blagues potaches et livrer des scènes de grande comédie… Ça marche : le lecteur, ravi, accepte tout. Le pitch est simple, mais (diablement ?) efficace : écrivain de romans à suspense, Gabriel Wells est assassiné. Son âme errante décide de retrouver le meurtrier avec l’aide d’une médium, Lucy Filipini. Et tenter de percer, tant qu’à faire, le mystère de la mort.

Gabriel Wells

Le grand talent de Bernard Werber, c’est d’allier à son imagination sans limite une certaine candeur ancrée dans l’optimisme. La trame de son roman s’enrichit d’extraits de la « fameuse » Encyclopédie du savoir relatif et absolu d’Edmond Wells. Un personnage fictif, créé par l’auteur, mais dont les articles sont d’une incroyable richesse. Non, je ne vous en dirai rien, allez donc découvrir, c’est renversant.

L’autre bonne idée de Werber, c’est d’avoir fait de son personnage principal un auteur populaire de romans à suspense. Un bon moyen de glisser de respectables vérités et, en plus de régler quelques comptes, livrer quelques-unes de ses convictions d’écrivain. Aux arguments de Jean Moisi, acariâtre critique littéraire redouté du fretin parisien à cause de son pouvoir éminemment gris et piètre auteur dont les ouvrages soi-disant autofictifs comptent plus de mensonges que de lecteurs — à Moisi, donc, Wells/Werber oppose une défense du roman de genre, grand public, nourri à l’aventure, à l’imagination.

« La viande, c’est l’intrigue »

Moisi l’aigri nombriliste face à Wells/Werber. Ma religion est faite, j’ai toujours aimé les raconteurs d’histoires et le mépris dans lequel la presse littéraire les maintient encore m’incite à continuer à les lire. Qu’écrit-il, Werber, en illustration de ces propos ? D’un critique qui reproche son absence de style à Gabriel Wells, il dit : « La littérature qu’il aime est essentiellement cosmétique. C’est du maquillage qui sert à cacher les rides et les boutons. La forme est mise en valeur pour dissimuler la faiblesse du fond. Ou, pour utiliser une autre image, le style est la sauce d’un plat. On met beaucoup de sauce, bien grasse et bien salée, de la sauce au beurre ou de l’huile de friture, quand on veut saturer les papilles pour cacher le goût de la viande. Or, pour moi, la viande, c’est l’intrigue. Si elle est bonne, elle n’a pas besoin de sauce. »
Un peu plus loin : « L’autofiction, qui est en effet l’unique littérature à la mode actuellement en France (ou plutôt à Paris), n’est qu’une thérapie déguisée. L’auteur qui raconte par exemple son enfance n’a rien inventé : il se contente d’observer. Ce n’est pas lui qui crée ses parents, son cadre de vie, ceux qui participent à sa vie. Ces écrivains ne sont rien d’autres que des autobiographes, et ils devraient indiquer « Dieu » comme co-auteur puisque c’est lui qui a inventé les acteurs, le décor et même les situations qu’ils décrivent. »

Au-delà de ça

Depuis l’au-delà constitue un réel bonheur de lecture, riche de fantaisie et d’audace. Ça n’empêchera pas de relire Duras, ça n’empêchera pas de ne pas lire Musso ; ça n’empêchera rien du tout mais replacera simplement le livre, quel qu’il soit, à sa vraie place : dans les mains d’un lecteur, d’une lectrice qui pensera sans doute que « le suprême paradoxe est que la vérité est dans les romans, le mensonge dans les journaux ».

Olivier Quelier

Bernard Werber, Depuis l’au-delà, Albin Michel, 2017. 22€.

Le site officiel de Bernard Werber est ICI.

 

 

« Depuis l’au-delà », Bernard Werber fourbit ses âmes de romancier populaire

Patrick Cauvin : mon héros, ce pair…

Pim, Pam, Poum sont ses préférés. Betty Boop fut sa première vamp. Il trouve Bel-Ami antipathique et avoue, un peu honteux, détester Tintin.

Il qualifie Tarzan de « bon play-boy sauvage » et passe en revue quelques silhouettes en collant : Robin des Bois, Thierry la Fronde et Superman.

Pendant un an, Patrick Cauvin a planché sur son Dictionnaire amoureux des héros publié chez Plon. Le résultat : un pavé de 700 pages qui regroupe, d’Andromaque à Zorro, tout ce que la littérature, la BD, le théâtre, l’opéra, le cinéma, la télévision, la mythologie… et le reste ont pu offrir de héros.

Patrick Cauvin en a recensé une centaine, des plus célèbres (Columbo, Bécassine et Cyrano) à quelques oubliés, dont Yvonne et Derradji, les personnages d’un roman qui enchanta sa jeunesse marseillaise.

Une centaine d’habitués

Plus qu’un ouvrage savant, Patrick Cauvin nous propose une balade en compagnie de héros dont certains lui sont très familiers, puisqu’ils habitent depuis maintenant plus de 35 ans une œuvre conviviale et éclectique.
Personnel, presque impudique tant s’y dessine en creux, au fil des pages, le portrait de l’auteur, cet ouvrage nous offre un pur moment de plaisir.

EXTRAIT
« Je n’avais pas prévu que, pour une bonne part, ce vagabondage se ferait en pays d’enfance. Grâce au ciel, j’avais conservé la plupart de mes anciennes lectures Bibliothèque verte, collection Nelson, vieilles bandes dessinées : Bicot, Lucky Luke, capitaine Fracasse, Zorro l’homme au fouet, je ne m’attendais pas à les retrouver aussi pimpants, aussi vivaces… J’ai même replongé dans de vieux classiques Larousse : Le Bourgeois gentilhomme, Dom Juan… je ne me souvenais pas d’y avoir souligné des passages, pris des notes.

Aurais-je été un élève studieux ? J’en suis encore ébahi. J’y ai retrouvé le fantôme du frisson des leçons non apprises. Sur la cire de la mémoire, la jeunesse est-elle l’âge où s’inscrivent plus facilement les héros ? » (Patrick Cauvin)

Patrick Cauvin, Dictionnaire amoureux des héros de Bécassine à Zorro, éditions Plon, 698p., 24€.

Olivier Quelier.

Patrick Cauvin : mon héros, ce pair…

« Le jour du chien » de Patrick Bauwen : quand le Mal niche sous Paris

Puisque l’été n’est pas (tout à fait) fini, puisqu’on ne voit pas encore clairement le bout des vacances, il faut vous précipiter sur Le jour du chien, le roman à suspense de Patrick Bauwen. 

Ce type est un malade. Un grand malade. Je ne parle pas du (très) méchant personnage principal du livre, mais de l’auteur du Jour du chien, Patrick Bauwen. Patrick a la gentillesse de me gratifier de son amitié et, vu ce que son cerveau de romancier produit, je préfère ne pas imaginer ce qu’il réserve à ceux qu’il n’aime pas…

Le Jour du chien est un excellent thriller, nourri aux meilleurs maîtres américains du genre, et bien installé dans son décor parisien. Il faut passer les quelques lignes qui sentent un peu trop leur fiche de guide touristique pour apprécier la malicieuse idée de Patrick Bauwen : faire un vrai personnage non de Paris (ce qu’il serait le énième à réaliser) mais de la vie souterraine de Paris.

« Peu de gens s’en rendent compte, mais Paris n’est que le couvercle d’une autre ville aussi vaste. Entre les réseaux des égouts, du métro, du téléphone, les galeries électriques, les parkings, les innombrables caves, les abris datant de la Deuxième Guerre mondiale et les Catas, ce sont des milliers et des milliers de kilomètres qui grignotent le sous-sol. »

Un beau terrain de jeu et surtout de prédation pour le Chien, personnage qui se veut l’incarnation même du Mal. Un inquisiteur, un « guerrier saint »… Face à lui, Christian Kovak, médecin urgentiste marqué par la mort de sa femme, quelques années plus tôt et, bientôt, par les séquelles d’une balle dans l’épaule. Enfin, « la mort de sa femme »… Ne serait-ce pas elle qui apparaît sur cette vidéo tournée dans le métro ? (Oui, Bauwen a lu Harlan Coben, et n’a rien à envier au maître du « cliffhanging » et du « page turner » – inutile de m’insulter pour les anglicismes, merci).

L’histoire commence.

Ce qui est agréable pour le chroniqueur, avec les thrillers de ce calibre, c’est qu’il n’a pas à se fader un résumé qui serait plus terne que l’intrigue. Pis, même : qui saperait le plaisir du lecteur, risquant de déjà trop en dire alors que la mécanique est parfaitement huilée et la technique bien au point.

Mais il n’y a pas que de la mécanique et de la technique, chez Bauwen. Le romancier transmet son dynamisme et son humanité à ses personnages (sauf au Chien, qui ne manque pas de dynamisme, mais pour l’humanité…). Bauwen est bien ancré dans son époque, sait s’emparer du quotidien pour mieux accrocher le lecteur et l’emmener avec lui dans les profondeurs de la ville et de la perversité.

« Dans le Clavis Calendaria, écrit par le prêtre John Bardy en 1813, il est dit que les Jours du Chien consacrent l’apogée du Mal » relève Patrick Bauwen à la page 33. Si vous ouvrez son bouquin, il ne vous faudra que quelques heures pour suivre cet apogée. Mais elles seront intenses. Croyez-moi.

Olivier Quelier.

Le Jour du chien, de Patrick Bauwen, Albin Michel, 21.50€.

Photo site Albin Michel.

 

« Le jour du chien » de Patrick Bauwen : quand le Mal niche sous Paris

[archives] Patrick Cauvin : E=mc2, le retour

C’est le temps des vacances, le moment de trier ses archives et de préparer ses lectures d’été. Alors j’ai ressorti cet article sur Pythagore, je t’adore, la suite, signée Patrick Cauvin, de l’un de ses plus grands succès, E=mc2, mon amour.

Ils

Ils avaient onze ans en 1977 ; ils en ont quinze aujourd’hui. Erreur de calcul ? Non, preuve supplémentaire et irréfutable de la supériorité manifeste du français sur les maths, de la littérature sur la réalité. Mais passons…

D’imbéciles calculs cessons d’effectuer

Du livre de Cauvin il faut ici parler

Car Patrick Cauvin vient de sortir un nouveau roman. Bingo ! comme dirait Daniel. Oui, Daniel Michon, le petit amoureux de Lauren King, les deux héros surdoués de E=mc2, mon amour, dont Pythagore, je t’adore, qui vient de paraître aux éditions Albin Michel, est la suite.

« Ils s’étaient quittés à La Défense, un quartier de plein vent, un jour de grand soleil où il n’avait jamais fait si triste dans leurs vies ». Ils ne savaient pas s’ils se reverraient, les adultes étaient contre eux, décidaient pour eux, il fallait que tout rentre dans l’ordre et tout était rentré dans l’ordre : « (…) l’Amérique pour Lauren, entre son papa patron de multinationale et sa maman cliquetante de bracelets chic. Pour Daniel, c’était le retour entre son chauffeur de taxi de père et ses copains des bords de Seine ».

Quatre ans ont passé. Quatre années d’ennui pour Lauren qui se morfond à la prestigieuse et californienne Harleton Springs School. Daniel, lui, après être allé de catastrophes en catastrophes au collège, finit à l’Institution Saint-Rémi, « spécialisée dans les cas difficiles : retardés scolaires, inadaptés sociaux, cas familiaux, débiles légers ».

Quatre années ont passé, la peine s’est flétrie

Ils se sont oubliés, ou ils ont fait comme si…

Mais Patrick Cauvin est un farceur sentimental. Il ne pouvait laisser ces deux jeunes gens séparés, Lauren à faire des vers raciniens, Daniel à apprendre par cœur des dictionnaires de cinéma. Ils avaient dit qu’ils se reverraient et ils vont se revoir, bien sûr. D’autant que tous deux atteignent le point de rupture : Lauren écrit à son timoré de papa pour lui annoncer qu’elle quitte Harleton Springs School et s’offre quelques jours de liberté en France. De son côté, Daniel fait une fugue et s’envole pour New York. Ils se cherchent, se croisent mais ne se trouvent pas, et c’est à Roissy, l’une repartant et l’autre rentrant, qu’ils se rencontrent finalement.

Mon tendre, mon amour, nous voici réunis

Si ce n’est pour toujours, ce sera pour la vie

En un an, Lauren et Daniel vont amasser une fortune, montant des affaires farfelues qui feront un tabac parce qu’elles se jouent de nos modes, de nos artifices, de nos faiblesses. C’est drôle et plein d’invention mais, du coup, on en oublie un peu les sentiments : dans ce court roman débridé qui ne craint pas de donner dans la farce, Cauvin a décidé de s’amuser, de nous amuser en concoctant une série de scènes cocasses, de portraits incroyablement drôles.

Evidemment, les deux adolescents succomberont à l’appel de la chair. Ils feront l’amour et ne seront plus jamais les mêmes. « On va devenir heureux » dit Daniel, rêveur : ils seront riches, auront des enfants, vivront aux Bahamas… C’est tout le mal qu’on leur souhaite. Ils grandiront sans nous, loin de nous parce que, autant vous l’annoncer dès maintenant : inutile d’espérer une nouvelle suite. Ter-mi-né !

Déjà qu’il a fallu attendre une vingtaine d’années pour lire Pythagore, je t’adore… « J’ai refusé pendant tout ce temps, confesse Cauvin, parce que je me méfie des suites et puis, très franchement, je n’en avais pas envie. Le déclic est venu d’une vieille dame, dans un salon du livre. Elle m’a dit : « J’aime beaucoup vos livres, mais j’ai un reproche à vous faire : on rit moins qu’avant ». Ça m’a ennuyé, j’ai réfléchi. Et j’ai décidé de renoncer au drame et à la gravité, de renouer avec mes débuts. J’ai tenté de retrouver le Cauvin d’il y a vingt-deux ans ».

Pythagore, je t’adore contient tant de fraîcheur, de tendresse et d’émotion que les années semblent ne pas avoir de prise sur Patrick Cauvin, qui sait comme nul autre parler des enfants… et s’adresser aux grands enfants que nous essayons tant bien que mal de rester.

Olivier Quelier.

Pythagore, je t’adore, de Patrick Cauvin, Albin Michel, 1999 ; Livre de poche, 2001.

[archives] Patrick Cauvin : E=mc2, le retour

Stéphanie Hochet : l’aurochs et la prisonnière

Mais vous croyiez quoi ? Qu’elle allait vous embarquer, la gentille Stéphanie, dans un de ces romans où l’auteure parle de ce qu’elle connaît le mieux, voire chérit au-delà de tout : elle-même ? Vous pensiez suivre le périple de cette romancière un peu reconnue mais pas encore assez pour vivre de sa plume sans apprécier les résidences d’auteur, ateliers d’écriture et autres conférences qui se présentent à elle ? Et pourquoi pas, tant qu’à faire, espériez découvrir la région de Cahors avec visite du camping, séjour à l’hôtel et découverte de la campagne environnante ?

C’est ce que vous croyiez ? Eh bien vous aviez, à peu près, raison. Enfin, jusqu’à la page 49. À cette ligne où la romancière, après une rencontre-débat dans un camping la veille au soir, se réveille. Mais pas dans son hôtel. Pas dans sa chambre. Alors où ? Attendez un peu…

D’ailleurs, si vous êtes honnête, reconnaissez que vous aviez déjà tiqué sur quelques remarques semées comme des cailloux dans les chaussures de votre certitude (oh bon sang, cette métaphore…). Cette bibliothèque dont le catalogue est contrôlé, modifié par la municipalité, ça ne vous évoque rien ? Ces livres retirés des librairies à cause de pressions ?

Allez, avouez, vous commenciez à pressentir une dimension inattendue dans ce roman d’apparence innocente. Et vous sentiez ce malaise vous envahir, page après page. Pas seulement gêné : troublé, oppressé par l’atmosphère imposée par Stéphanie Hochet.

Ce sentiment d’enfermement, de piège. Vous viennent à l’esprit les noms de Hitchcock, de Kafka. Vous découvrez celui de Vincent Charnot, le maire de Marnas. Étrange personnage. Inquiétant chasseur, dignitaire adulé, qui rêve d’un musée des Espèces de la région, avec une majuscule à Espèces. Rêve aussi de réintroduire dans la nature l’aurochs préhistorique. Et propose à la romancière d’en écrire la « biographie ».

Vous êtes un peu perdu ? Vous croyiez quoi, que j’allais vous raconter l’histoire, briser la tension, répondre à vos questions ? Eh non. La force de Stéphanie Hochet est de nous bousculer autant par ce qu’elle écrit que par ce qu’elle n’écrit pas : la dimension politique de son livre, le lecture mythologique de son récit, l’interrogation sur l’animalité et la part animale.

« Qui n’a pas son Minotaure ? » La phrase est de Marguerite Yourcenar, en exergue du livre. Stéphanie Hochet n’apporte pas de réponse à la question, mais l’affûte à nouveau au fusil de nos consciences. En ces temps troubles, l’urgence de l’écrivain est de nous troubler encore. De nous troubler toujours.

Olivier Quelier

L’animal et son biographe, de Stéphanie Hochet, éditions Rivages, 190p. 18€.

Mon chat, Caramel, est un fidèle lecteur de Stéphanie Hochet.

À lire aussi :

Stéphanie Hochet : Bourgeoisie anglaise à l’heure des drames.

Stéphanie Hochet : Éloge de sa majesté le chat.

 

 

Stéphanie Hochet : l’aurochs et la prisonnière

La phrase longue de Daniel Pennac (235 mots) : « Il suffit qu’un chien de traîneau… »

Il suffit qu’un chien de traîneau un peu jeunet sorte de son enclos, qu’il vous voie, qu’il parcoure ventre à terre les cent mètres qui le séparent de vous, qu’il vous saute dessus toute langue dehors, poussé par l’atavique besoin d’affection de cette race inapte à la solitude canine, que ledit husky renverse votre saut de myrtilles, en éparpille le contenu dans un fou trémoussement, anticipe la confiture en piétinant frénétiquement cinq heures de cueillette, que, sur ces entrefaites, une brebis égarée se mette à bêler, que le chien se fige, que le loup en lui dresse soudain les oreilles, que vous vous disiez protégeons la brebis pour que le berger et le propriétaire du chien ne s’entre-tuent pas, que vous ôtiez votre ceinture pour improviser une laisse, que vous rameniez le chien à l’enclos, que vous y trouviez son maître (pas plus inquiet ni reconnaissant que ça, d’ailleurs), son maître, cette cascade de dreadlocks vert-de-gris qui a tout largué depuis quinze ans pour venir s’oublier ici, pour que son maître, le moins communicant des exilés de l’intérieur, le plus étranger à ce qui advient hors de son champ de vision, pour que cet effacé absolu vous dise, en levant à peine les yeux sur vous, trop occupé à protéger de la tramontane naissante la bonne herbe qu’il roule en guise de tabac, vous dise, d’une voix à peine audible :
— Tu sais pas la meilleure ?

(in Le cas Malaussène, Gallimard, 2017).

A lire aussi :

Daniel Pennac : tous les commencements possibles.

La phrase longue de Daniel Pennac (235 mots) : « Il suffit qu’un chien de traîneau… »

Stéphanie Hochet : éloge de sa Majesté le Chat

Mon chat, fin lettré — il adore Colette et Céline — a pour livre de chevet le Dictionnaire amoureux des chats, de Frédéric Vitoux (il le feuillette chaque jour, Brassens en fond sonore) — mon chat donc, m’a conseillé de lire le bref mais charmant et érudit Éloge du chat signé Stéphanie Hochet.

unknownMon chat — notez au passage qu’il se nomme Caramel et, surtout, remarquez qu’il m’autorise dans sa grande mansuétude l’emploi de l’article possessif à son endroit (c’est dire s’il m’apprécie) — mon chat, disais-je, m’a tiré de mon oisiveté pour m’inciter à écrire la chronique de cet ouvrage à la gloire de son espèce animale (sans oublier de me faire remarquer mes nombreuses répétitions du mot « chat » dans les lignes précédentes…).

Paradoxe

Stéphanie Hochet constate avec justesse que le statut du chat est paradoxal. L’animal lui-même est un paradoxe : prédateur fin et élancé à l’élégance du tigre, il apparaît en littérature (chez Rabelais et La Fontaine) comme un gras hypocrite plein de fatuité et d’arrogance. Mazarin et Richelieu aimaient les chats : le parallèle entre eux est troublant.

Flexible, souple, fin gymnaste, le chat ne doit pas son règne au hasard. « Il est le fruit d’une longue évolution et d’une collaboration avec l’humain » note Stéphanie Hochet. Peut-être d’ailleurs l’a-t-il assis sur une spécificité : « Le chat séduit, le chat exaspère, le chat est un continent noir immergé dans notre inconscient ». Le chat, donc, « est un animal féminin ».

Pas replet

Un long chapitre est consacré à cet aspect essentiel : le félin — la féline — est tout de caresses, de volupté, de séduction. L’auteur argumente son sujet avec force référence à la littérature, au cinéma, au langage populaire. De l’amour à l’hystérie, de l’affection à l’érotisme, il n’y a qu’un pas…

Vous comprendrez, chère Stéphanie, que je passe sous silence les pages consacrées au « replet ». Même sous couvert de métaphysique ou de religion, le poids (j’ose à peine écrire le mot) est entre Caramel et moi source de longues négociations, de rouerie souvent, de conflits parfois.

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Mon chat Caramel, amoureux des pages qu’on feuillette (plus que du tricot).

Part de mystère

Et Dieu dans tout cela ? Il se pourrait bien que, dans son essai, Stéphanie Hochet nous révèle la preuve que « le chat est Dieu ». On comprend, au fil des pages, qu’à observer les chats, on en vient à observer les hommes. C’est dire si le projet est d’envergure. L’auteure s’y attelle avec modestie, pertinence et concision, sachant qu’il faut laisser à ce « transgresseur par excellence » sa part de mystère et de fantasme.

Caramel s’est assoupi sur une anthologie de textes de Raymond Devos. Le soleil, par la fenêtre, chauffe son pelage. Il ronronne, serein.

Mon chat, c’est quelqu’un.

Olivier QUELIER.

Éloge du chat, de Stéphanie Hochet, éditions Léo Scheeer (Anima). 15€. Rivages Poche n°864, 6€.

 

Stéphanie Hochet : éloge de sa Majesté le Chat

Claire Blick, correctrice de fiction dans un roman de Jean-Paul Dubois

Des héros de fiction journalistes, on en voit quelquefois. Plus rares sont les romans dont les personnages principaux sont correcteurs. J’ai parlé il y a peu sur ce blog du très beau et très personnel ouvrage d’Erwann Desplanques, Si j’y suis, dont Jacques, le narrateur, est correcteur de presse.

Une sorte de filet

Dans Une Vie française, publié en 2005 aux éditions du Seuil, Jean-Paul Dubois donne à la mère de son héros, Paul Blick, le métier de correctrice.

Même s’il en est peu question dans le livre, un passage est consacré à la fonction de Claire Blick. « Un correcteur, disait-elle, est une sorte de filet chargé de retenir les impuretés de la langue ».

Voici l’extrait.d95f8eb1-ab95-4ff6-8cf6-ac97f9b96837

Claire Blick, correctrice de fiction dans un roman de Jean-Paul Dubois