En bref, c’était déjà Desproges

Avant, Desproges était journaliste. Pas des meilleurs selon certains de ses pairs comme Annette Kahn (« médiocre fait-diversier ») et Bernard Morrot (« pas un bon journaliste »). Mais avant d’être célèbre, Pierre Desproges avait déjà un ton et, surtout, un regard d’humoriste assez développés pour reprendre l’actualité sous un jour moins convenu et plus irrévérencieux.

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Pierre Desproges en 1975 à L’Aurore.

Traiter l’info sous un angle différent est une pratique courantes depuis Renaudot ou presque. L’idée vaut au lecteur des rubriques insolites estampillées « Elle est bien bonne » ou « Rions un peu ». Félix Fénéon a élevé au début du XXe siècle les dépêches d’agence au rang de nouvelles ciselées (1), au fil narratif tendu à l’extrême.

Desproges s’inscrit dans cette veine. A lire certaines de ses brèves, on constate combien la parenté avec Fénéon est évidente. Viré après un stage à L’Aurore, devenu ensuite pronostiqueur à Paris Turf, Pierre Desproges réintègre le quotidien à la fin des années 1960, grâce à Annette Kahn.

Signé : Françoise Sagan

Dans les années 1970, il tient en dernière page de L’Aurore la rubrique « En bref » que lui a confiée le journaliste Bernard Morrot. Desproges reprend de vraies dépêches mais son style décalé, volontiers provocateur et rarement « correct », attire les foudres de la direction et du lectorat.

Jusqu’au jour où une lettre parvient à la rédaction. « Je ne lis pas L’Aurore mais je l’achète chaque matin pour Desproges. » Signé : Françoise Sagan.

Du coup, les choses s’arrangent. Desproges continue de faire « son caviar de petites nouvelles de rien du tout », selon la formule d’Annette Kahn. Jusqu’en 1975, année où il rejoint Jacques Martin et l’équipe du Petit Rapporteur. Après avoir traité l’actu par le petit bout de la lorgnette.

Olivier Quelier.

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Deux ouvrages (2) compilent les brèves rédigées par Pierre Desproges pour L’Aurore. Petit choix subjectif et aléatoire, tant l’ensemble mérite d’être lu. Il ne tient désormais qu’à vous…

A la barre. Six voleurs musclés, qui avaient chapardé cinquante tonnes de barres de fonte dans une fonderie de Bar-le-Duc, ont été laissés en liberté provisoire. Il aurait été en effet imprudent de les laisser tous seuls derrière des barreaux qui ne leur appartiennent pas.

Débile. Au Texas, où les gens se demandent pourquoi le reste de l’Amérique les trouve grotesques, un idiot du village a été condamné à trois mille ans de prison pour meurtre.

La vache. A Begwalewe, près de Serule au Botswana, Galetwaselwe Mossi a volé une vache à Sir Seretse Khama. On vous fait grâce du nom de la vache.

Paulette. Il est des statistiques dont il est bien difficile de tirer des leçons. Allez donc savoir pourquoi, à San Francisco, sur sept candidates au titre de Miss Chinatown, six se prénommaient Wong, et la septième Paulette.

Œufs d’or. Un éleveur de volailles anglais s’est aperçu que les poules qui mangeaient le moins pondaient les plus gros œufs. Il a été laissé en liberté.

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(1) Félix Fénéon, Nouvelles en trois lignes, Paris, Mercure de France, 2015.

(2) Pierre Desproges, Le Petit Reporter, Julliard, 1976 ; Seuil, 1999.

 

En bref, c’était déjà Desproges

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